Un témoignage de l’homme d’affaires israélien Dan Gertler met en lumière des failles dans la gestion des ressources minières en République démocratique du Congo (RDC), entre 2001 et 2019, durant la présidence de Joseph Kabila. Il est contenu dans une décision arbitrale rendue en avril 2024 en Israël, dans le cadre d’un différend financier opposant Dan Gertler aux frères Moises et Mendi Gertner, ses anciens partenaires. Le contenu de cette décision a été révélé le 14 juillet 2025 par Bloomberg, qui affirme l’avoir obtenue via l’ONG Platform to Protect Whistleblowers in Africa (PPLAAF).
Bien qu’il ait toujours nié toute irrégularité, Dan Gertler est sous sanctions américaines depuis 2017 pour avoir amassé une fortune à travers des centaines de millions de dollars de transactions minières et pétrolières jugées opaques et entachées de corruption en RDC. Son témoignage contribue à étayer ces accusations. Il y reconnaît notamment avoir versé d’importantes sommes à Augustin Katumba Mwanke, ancien proche collaborateur du président Kabila, afin de faciliter l’obtention de permis miniers et pétroliers.
Les avocats de Gertler soutiennent que Katumba, décédé en 2012 dans un accident d’avion, n’occupait plus de fonction officielle au moment des paiements. Ils affirment également que les montants en question servaient à financer des projets communautaires, tels que des écoles et des hôpitaux. Toutefois, l’arbitre Eitan Orenstein a relevé que les opportunités minières étaient systématiquement orientées vers Gertler grâce aux réseaux de Katumba dans les cercles du pouvoir. Le partenariat entre les deux hommes est même présenté comme indispensable à la réussite de Gertler en RDC.
Prêts en espèces à la BCC
Le témoignage révèle aussi une gestion opaque des participations dans des permis sur des gisements d’or, de fer et de cuivre entre Gertler et Katumba, certains actifs étant hébergés dans des entités distinctes selon les besoins. Gertler affirme avoir détenu, pour le compte de Katumba, des actifs miniers évalués à plusieurs centaines de millions de dollars, sans connaître l’identité d’autres partenaires congolais impliqués. Cette structuration rendait toute traçabilité difficile, permettant à des intérêts privés — parfois étrangers — de contrôler indirectement des ressources stratégiques congolaises.
Par ailleurs, Gertler reconnaît avoir accordé des « prêts en espèces » à la Banque centrale du Congo (BCC) et à la société diamantaire publique MIBA. Une pratique qu’il justifie par l’absence d’un système bancaire fonctionnel à l’époque, mais qui révèle aussi un manque de régulation dans les flux financiers du secteur extractif.
Le document d’arbitrage, qui dépasse 1 200 pages et s’appuie sur plus de 10 000 pages de témoignages et de pièces, n’avait pas pour objet de déterminer la légalité des transactions. L’arbitre a noté qu’aucune preuve convaincante de corruption ou de paiements illégaux n’avait été présentée. Néanmoins, les révélations confortent les critiques récurrentes sur la gouvernance du secteur minier congolais : recours à des prête-noms, absence de transparence sur les bénéficiaires effectifs, attribution opaque des permis, et pratiques financières informelles.
ITIE note des progrès
De nombreuses affaires de corruption ont par ailleurs émaillé le secteur extractif congolais. Ces dernières années, Glencore Plc a payé plusieurs centaines de millions de dollars en amendes, dommages et intérêts pour clore des poursuites aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Suisse et en RDC, liées à des faits de corruption dans l’acquisition d’actifs miniers congolais.
Concernant Dan Gertler, un différend fiscal récent sur les redevances que lui verse Glencore a révélé qu’il détient toujours des actifs dans le secteur minier congolais. Bien qu’il ait accepté en 2022 de renoncer à certains avoirs, il conserve des droits à royalties sur trois projets majeurs de cuivre et de cobalt.
Les rapports de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) indiquent que la RDC a néanmoins enregistré quelques progrès. Le rapport de progrès 2024 note que le pays publie désormais des données sur la propriété bénéficiaire depuis 2015, même si celles-ci restent incomplètes. En matière de transparence contractuelle, la loi minière de 2018 impose la publication des contrats, licences et concessions, mais des lacunes subsistent. Un rapport du FMI publié en janvier 2025 souligne les progrès dans la mise en œuvre de ces réformes, tout en rappelant la nécessité de finaliser des processus en cours. Le seuil de déclaration de la propriété effective fixé à 25 % par un loi adoptée en 2022 reste trop permissif.
Enjeu économique
D’autres faiblesses subsistent dans la gouvernance du secteur extractif. Le gouvernement congolais a récemment conditionné les exportations pétrolières à l’usage d’affréteurs agréés, une mesure visant à mieux encadrer les flux, mais qui soulève des interrogations sur la transparence des intermédiaires.
La transparence dans le secteur extractif est cruciale pour la RDC, dont l’économie repose en grande partie sur le cuivre et le cobalt. En 2024, la RDC a produit 3,3 millions de tonnes métriques de cuivre (+12,6 % sur un an), la plaçant au 2ᵉ rang mondial. Pour le cobalt, elle conserve sa première place mondiale, avec une production estimée à 170 000 tonnes et des réserves de 6 millions de tonnes.
Les revenus miniers représentent environ 6 % du PIB national et 40 % des recettes publiques. Une meilleure gouvernance permettrait de maximiser ces recettes, d’attirer des investissements durables, de garantir une meilleure redistribution des richesses, et de répondre aux exigences internationales sur les chaînes d’approvisionnement en métaux critiques.
Georges Auréole Bamba
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