Le 19 avril 2025, le gouvernement congolais a annoncé plusieurs mesures à l’encontre de l’ancien président Joseph Kabila Kabange : suspension des activités de son parti politique (PPRD), réquisition de la saisie de ses biens et ouverture de poursuites judiciaires. Dans un communiqué du ministère de la Justice, l’ex-chef de l’État est accusé de participer directement à l’agression menée contre la RDC par les rebelles de l’Alliance du fleuve Congo (AFC)/M23, soutenus par le Rwanda.
Cette décision intervient alors que plusieurs médias ont rapporté l’arrivée de Joseph Kabila à Goma en provenance du Rwanda, information confirmée par le ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani Lukoo. Ce dernier parle d’un « choix délibéré de rentrer au pays par la ville de Goma sous contrôle de l’ennemi qui assure curieusement sa sécurité ».
Dès février, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, le président Félix Tshisekedi avait déjà accusé son prédécesseur d’être « le vrai commanditaire » de la rébellion à l’est. Sa présence à Goma apparaît dès lors, pour les autorités, comme un indice supplémentaire.
Des soupçons persistants autour de la fortune de Kabila
La saisie annoncée des biens de Joseph Kabila et de ses « complices présumés » soulève une problématique concrète : comment identifier clairement les actifs à geler ? La question de la propriété effective – c’est-à-dire l’identification des véritables bénéficiaires des biens – est au cœur de l’enjeu.
Depuis plusieurs années, la fortune supposée de Joseph Kabila fait l’objet d’enquêtes et d’allégations. En 2016, une enquête de Bloomberg faisait état d’un réseau de plus de 70 entreprises détenues par sa famille, dans divers secteurs économiques, en RDC comme à l’étranger (notamment aux États-Unis, au Panama, en Tanzanie ou sur l’île de Niue, paradis fiscal du Pacifique).
En 2021, l’enquête Congo Hold-up, menée par un consortium international de journalistes et d’ONG, évoquait le détournement présumé de 138 millions de dollars via une banque locale, au profit du clan Kabila. Selon les documents consultés, certains propriétaires chinois de grandes mines de cuivre et de cobalt auraient utilisé cette banque pour acheminer des fonds à des proches de l’ancien président.
Déjà en 2017, un rapport du groupe d’études sur le Congo estimait que la famille Kabila contrôlait environ 80 entreprises, 71 000 hectares de terres agricoles et de nombreuses licences minières.
L’entourage de Joseph Kabila a toujours nié ces accusations, dénonçant des « manœuvres dilatoires » et des « acharnements injustifiés », notamment à la suite de l’enquête Congo Hold-up.
La propriété effective : un défi pour les autorités congolaises
La notion de propriété effective désigne les personnes physiques qui contrôlent en dernier ressort une entreprise ou une entité juridique, au-delà des prête-noms ou des structures formelles.
Des organisations comme Tax Justice Network plaident pour des registres publics de la propriété effective, soutenus par des instances comme le Panel FACTI (Panel de haut niveau sur la responsabilité financière internationale, la transparence et l'intégrité) ou la Commission économique pour l’Afrique.
En RDC, une avancée a été enregistrée avec l’adoption de la loi n°22/068 du 27 décembre 2022, qui impose l’identification des propriétaires effectifs des entreprises. Mais, selon le Rapport ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives) 2022, les obstacles sont nombreux. L’arrêté ministériel censé établir le registre national n’est toujours pas pris. Sur 91 entreprises extractives ayant soumis des déclarations, seules 47 ont fourni des informations sur leurs bénéficiaires effectifs, souvent lacunaires.
Le Groupe d’action contre le blanchiment des capitaux (GABAC) souligne également, dans son deuxième rapport de suivi renforcé, l’absence de mécanismes clairs pour garantir l’accès des autorités compétentes à ces données. Il pointe des « manquements importants » dans l’identification des personnes morales.
Un enjeu bien plus large que le cas Kabila
Au-delà du cas spécifique de Joseph Kabila, la question de la propriété effective touche à des enjeux systémiques de gouvernance. Dans une région riche en ressources, mais marquée par des soupçons récurrents de détournements, la transparence sur les propriétaires réels des actifs économiques est essentielle au développement.
La montée des tensions entre Félix Tshisekedi et son prédécesseur donne une dimension politique forte à ce débat. Mais sur le long terme, seule la mise en place d’instruments juridiques efficaces et de registres fiables permettra de répondre aux défis de l’enrichissement illicite, de la corruption et du financement occulte.
Georges Auréole Bamba