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Début septembre 2024, les prix du carbonate de lithium et de l’hydroxyde de lithium sont tombés en dessous de 11 000 dollars la tonne, une première depuis juin 2021. Selon les données de Standard & Poor’s (S&P), le carbonate de lithium se négociait à 10 550 dollars la tonne au 4 septembre, tandis que la tonne d’hydroxyde de lithium était à 10 400 dollars. Le marché du lithium, dans une dynamique baissière depuis plusieurs mois, ne montre pas de signes d’amélioration. La semaine dernière, plusieurs sources concordantes ont rapporté que CATL, l’un des plus grands producteurs mondiaux de batteries, envisage de fermer sa mine de lithium dans la province chinoise de Jiangxi (qui représente 5 à 6 % de l’offre mondiale) en raison de la chute des prix et des coûts d’exploitations élevés. Comme cette entreprise chinoise, plusieurs acteurs du marché s’inquiètent de cette baisse prolongée. Pour les pays africains, futurs producteurs de lithium, comme la RDC, où les richesses en lithium de la région de Manono ont attiré plusieurs entreprises étrangères ces dernières années, l’état actuel du marché pourrait ralentir les plans de développement de ce secteur.

 

Selon le rapport « Comment l’Afrique tire profit des opportunités sur le marché du lithium » disponible sur Ecofin Pro, la plateforme d’Ecofin dédiée aux professionnels, les premières attributions de blocs d’exploration de lithium à des sociétés par la RDC remontent seulement à 2010. Très en avance sur d’autres minéraux stratégiques comme le cuivre ou le cobalt, l’intérêt de la RDC pour ses ressources de lithium est un peu plus récent et a coïncidé avec l’intérêt mondial accru pour cette matière première utilisée dans les batteries de véhicules électriques.

Dans son code minier promulgué en 2018, la RDC a classé le lithium dans la catégorie des métaux stratégiques avec le cobalt, le coltan et le germanium. Elle a instauré pour ces métaux une hausse de la redevance, qui passe de 2 % à 10 %. De plus, l’État exige des participations dans les différents projets, par le biais de la Société commerciale et minière du Congo (Cominière SA), qu’il détient à 90 %. Cette dernière a ainsi conclu différents accords avec les entreprises étrangères sur les découvertes majeures réalisées à ce jour. Il faut rappeler que le plus grand projet de lithium de la RDC reste celui de Manono, où l’Australien AVZ Minerals prédisait en 2021 une capacité de production annuelle de 700 000 tonnes de concentré de spodumène et 45 375 tonnes de sulfate de lithium primaire.

Un marché du lithium sous pression

Selon Ecofin Pro, les prix du carbonate de lithium ont connu une baisse significative passant d’un record de 81 360 dollars par tonne en novembre 2022 à 20 782 dollars par tonne en février 2024, soit le niveau le plus bas affiché sur une période de deux ans. Cette tendance baissière a continué dans les mois qui ont suivi. Comme mentionné plus haut, l’hydroxyde de lithium, extrait de lacs salés ou de saumures et utilisé principalement dans les batteries au phosphate de fer et de lithium (LFP), a vu don prix baisser à 10 550 dollars la tonne début septembre. Quant au carbonate de lithium, issu de l’extraction du minerai de spodumène et utilisé principalement dans les batteries au nickel, cobalt et manganèse (NCM), son prix a baissé à 10 400 dollars la tonne.

La principale raison évoquée par les analystes pour expliquer cette chute durable des prix est le ralentissement des ventes de voitures électriques (VE), surtout en Chine (qui représente 60 % des immatriculations mondiales de VE). Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les nouvelles immatriculations de voitures électriques ont augmenté de 35 % en 2023, un ralentissement notable par rapport à la croissance de 82 % en 2022. D’après une note publiée le 16 septembre par le site Carbon Credits, la reprise économique incertaine de la Chine et la suppression progressive des subventions pour les VE ont également freiné la demande.

Évolution du prix du lithium depuis 2020

1 LithiumSource : Trading Economics

L’état du marché est l’une des raisons évoquées par la société chinoise CATL « pour ajuster sa production de lithium dans la province méridionale de Jiangxi ». « Sur la base des conditions récentes du marché du carbonate de lithium, l’entreprise prévoit d’ajuster la production de carbonate de lithium à Yichun », a déclaré la société à Reuters, suite à la publication d’un rapport d’analystes indiquant qu’elle avait suspendu les opérations à la mine de lithium.

En Afrique, où plusieurs pays se positionnent pour produire également du lithium, les inquiétudes grandissent aussi. Dans une sortie relayée par plusieurs médias internationaux, Martin Ayisi, directeur de la Commission des minéraux du Ghana, a déclaré que le projet de lithium phare du pays (Ewoyaa), où une production annuelle d’environ 360 000 tonnes est attendue, risque d’être interrompu. « Il en coûtera environ 650 dollars à Atlantic Lithium pour produire une tonne de concentré de lithium et, avec un prix (du spodumène de lithium, NDLR) juste au-dessus de 700 dollars, cela nous inquiète », a-t-il déclaré.

Un obstacle de plus

Sur les 1175 projets miniers en cours d’exploration et de développement sur le continent africain recensé par Ecofin Pro, 47 portent sur le lithium. Sur les 47 projets de lithium, quatre sont localisés en RDC.

Projets de lithium répertoriés par Ecofin Pro en Afrique

1 projet

Malgré l’engouement autour du lithium en RDC au cours de ces dernières années, le pays ne fait toujours pas partie du cercle des producteurs. Pour cause, un litige survenu sur le plus grand gisement du pays, celui de Manono, l’une des plus importantes réserves non exploitées de lithium à l’échelle mondiale, avec environ 400 millions de tonnes de ressources minérales contenant 1,65 % de lithium, selon les estimations d’AVZ. En 2022, AVZ annonçait la signature par la ministre des Mines de l’époque, Antoinette N’Samba Kalambayi, d’un décret attribuant une licence d’exploitation. Cependant, le projet s’est rapidement retrouvé au centre d’un différend judiciaire. La société australienne revendique 75 % d’intérêts, tandis que Cominière, son partenaire congolais, affirme que l’accord de coentreprise entre les deux parties a pris fin. Cominière a annoncé fin octobre 2023 un accord avec la société chinoise Zijin Mining, pour développer une mine de lithium sur la licence d’exploration de lithium précédemment détenu par sa coentreprise avec AVZ. Toutefois, une décision de la Chambre de commerce internationale lui a interdit toute mesure visant à « explorer et exploiter, directement ou indirectement », le projet de lithium Manono revendiqué par AVZ.

Dans un communiqué publié en août 2024, AVZ Minerals accuse par ailleurs la RDC d’avoir violé l’ordonnance judiciaire susmentionnée (en délivrant un permis d’exploitation à la coentreprise entre Cominière et Zijin) et réclame des pénalités s’élevant à 73,85 millions $. Elle a indiqué être en discussion avec le gouvernement congolais pour « tenter de résoudre à l’amiable le différend concernant l’octroi d’un permis d’exploitation minière pour le projet de lithium à Manono ».

Pour le moment donc, la baisse des prix sur le marché ne semble pas être la raison qui justifie le retard de la RDC dans le développement de son projet phare (et le plus avancé) de lithium. En attendant un dénouement pour cette affaire qui doit être encore jugée sur le fond, notons qu’une autre société (dénommée AJN Resources) a annoncé le 31 mai dernier le début de travaux de forage sur son projet Manono Nord-Est pour trouver des minéralisations de lithium et d’étain. La compagnie compte notamment sur la proximité du projet avec le site au cœur du litige entre AVZ et Cominière.

Perspectives du marché de lithium

Les enjeux pour la RDC du développement d’une industrie du lithium sont simples à comprendre. Le pays, dont les revenus miniers sont passés d’une moyenne de 4 milliards $ sur la période 2013-2017 à une moyenne de 5,5 milliards $ sur la période 2018-2022 selon le FMI, disposerait d’une nouvelle source de recettes dans le secteur. Si la RDC doit encore résoudre les problèmes ci-dessus évoqués pour concrétiser cet espoir, l’évolution du marché est un paramètre à surveiller de près, car elle pourrait influencer les décisions de développement des compagnies.

Selon Adam Megginson, un analyste cité par le média INN et relayé dans un rapport d’Ecofin Pro, « si les perspectives à long terme du marché du lithium restent reluisantes, les niveaux actuels de prix assez bas sont préoccupants, surtout pour les entreprises qui ne l’avaient pas prévu. Un environnement de prix constamment plus bas […] peut également suspendre certaines des sources d’approvisionnement les plus coûteuses et éliminer les projets prévus plus coûteux fondés sur des prix élevés », a-t-il déclaré.

L’annonce par CATL de ses plans de réduction de production a eu comme effet de « soulager » dans une certaine mesure le marché du lithium, même si les prévisions d’excédents sur le marché sont maintenues. Les analystes semblent s’accorder sur le fait que des réductions supplémentaires de l’offre pourraient être nécessaires pour que le marché revienne à un état d’équilibre d’ici 2025. Pour le moment, c’est un sentiment d’incertitude qui prévaut à court terme sur le marché du lithium et la donne ne devrait pas changer avant 2026 où une reprise des prix est prévue par les analystes de Guotai Junan Securities Co.

Louis-Nino Kansoun

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mercredi, 31 juillet 2024 11:28

Zinc de Kipushi, le nouveau trésor de la RDC

Début juillet 2024, Ivanhoe Mines et Gécamines ont annoncé l’entrée en service de la mine de Kipushi, après plusieurs années de travaux destinés à relancer la production. Le projet, exploité pendant plusieurs décennies avant d’être mis en régime de maintenance et entretien en 1993, pourrait, selon les nouvelles estimations, devenir la quatrième plus grande mine de zinc du monde. Surtout, il redevient opérationnel dans un contexte où le prix du zinc est en hausse depuis le début de l’année et où les perspectives du marché sont bonnes. Pour la RDC, qui a vu ses recettes minières augmenter au cours des dernières années, en raison de la hausse du prix du cuivre, il s’agit d’une nouvelle opportunité de croissance et de diversification des revenus tirés du secteur.

Selon le FMI, les recettes minières de la RDC sont passées de 4 milliards $ sur la période 2013-2017 à une moyenne de 5,5 milliards $ sur la période 2018-2022. Les principaux secteurs qui ont porté cette croissance sont le cobalt et le cuivre, pour lesquels le pays est respectivement le premier et le deuxième producteur mondial. Au-delà du cuivre et du cobalt, la RDC produit également d’autres minéraux comme l’étain, le coltan ou encore le zinc. Ce dernier est utilisé dans les secteurs de la construction, de l’automobile et de la galvanisation de l’acier, mais il fait également partie des métaux de la transition énergétique. « Le zinc est parfois le métal oublié, mais il est essentiel au succès de la transition énergétique, notamment en raison des besoins dans les segments du stockage de l’énergie […], des éoliennes et des panneaux solaires », indiquait à ce propos en juin dernier Andrew Green, DG d’International Lead & Zinc Study Group (ILZSG), cité par La Tribune des Métaux.

La plus grande mine de zinc de la RDC

Lors de l’annonce de l’inauguration de la mine Kipushi début juillet, les partenaires du projet ont indiqué qu’elle devrait produire au minimum 100 000 tonnes de concentré de zinc en 2024. Sur les années suivantes, la production devrait augmenter, avec une moyenne annuelle prévue de 278 000 tonnes au cours des cinq premières années.

Les 10 plus grandes mines de zinc au monde (en production)

1 zinc

Source : Wood Mackenzie, qui a comparé la production annuelle moyenne de zinc sur la durée de vie du projet Kipushi, soit 240 000 tonnes, et une teneur en zinc de 31,9 %, avec la production et les teneurs en zinc estimées en 2020.

Si l’on en croit une étude de faisabilité publiée en 2022 par Ivanhoe Mines, la durée de vie totale s’élèverait à 14 ans, avec une production moyenne annuelle de 240 000 tonnes sur la période. Et en plus du zinc, le projet aurait également la capacité de livrer du cuivre, du plomb ou encore du germanium. Considéré comme métal critique, le germanium est utilisé dans les semi-conducteurs, la fibre optique, les cellules solaires et l’électronique.

« Ce ne sont pas seulement les teneurs élevées en zinc qui font de Kipushi une mine extraordinaire », commente Guy-Robert Lukama Nkunzi, président du conseil d’administration de la Gécamines. Ce dernier précise que la mine montre un grand potentiel pour d’autres métaux qui sont essentiels pour répondre aux besoins industriels mondiaux.

Le bon timing pour arriver sur le marché

Dans une note publiée le 18 juillet 2024, le journal économique The Hindu Business Line indique que le prix du zinc a augmenté de 14% depuis le début de l’année. Ladite note cite plusieurs analystes qui annoncent de bonnes perspectives pour le marché.

À titre d’illustration, BMI Research, une filiale de Fitch Solutions, revoit à la hausse sa prévision de prix pour le zinc, le situant désormais à 2 600 dollars/tonne. Raison : « des fondamentaux de marché plus robustes poussent les prix à la hausse ». « La demande de zinc s’est renforcée ces derniers mois en raison des améliorations des perspectives de production industrielle mondiale. Après de fortes baisses en 2023, le prix du zinc devrait augmenter modérément au cours de la période de prévision, passant d’environ 2 700 $ la tonne en 2024 à environ 2 800 $ la tonne d’ici 2026 », explique pour sa part l’Australian Office of Chief Economist (AOCE).

Ces prévisions ne manquent pas de rappeler les niveaux de prix atteints par le zinc en 2022. En mars de cette année, le zinc voyait son prix augmenter pour atteindre 4 000 dollars la tonne, soit son plus haut pic depuis 2007, alors que plusieurs fonderies avaient dû fermer à cause de la crise énergétique causée par la guerre Russie-Ukraine. Le cours du zinc s’est par la suite corrigé, mais est resté à un niveau élevé (2 986 dollars la tonne) en septembre-octobre 2022, ce qui a poussé plusieurs analystes à envisager le seuil des 3 100 à 3 300 dollars la tonne.

Évolution prévue du flux de trésorerie annuel

1 evolution

Source : Ivanhoe, selon les hypothèses de prix du zinc à long terme.

Une nouvelle source de revenus miniers pour la RDC

Selon les prévisions du FMI, les recettes tirées du secteur minier par la RDC en matière de royalties devraient passer de 1 499 milliards de francs congolais en 2022 à 2 688 milliards de francs congolais en 2024. Les principaux contributeurs à cette hausse devraient être le cuivre et le cobalt.

Si le zinc n’est pas évoqué quand il s’agit de parler des produits miniers de la RDC, il n’en demeure pas moins une source de revenus pour l’État congolais. Selon les statistiques nationales, le pays a produit en 2022 un total de 13 578 tonnes de zinc, puis 11 321 tonnes en 2023 (voir tableau).

Évolution de la production de zinc de la RDC

1 tab

La production reste donc assez faible. Mais l’arrivée de la mine Kipushi devrait changer la donne pour la RDC puis qu’il est prévu que la mine livre en moyenne 240 000 tonnes de zinc chaque année. Au-delà des royalties que devra payer Ivanhoe Mines sur cette production, la RDC détient également des intérêts directs dans le projet, à travers la Gécamines. L’entreprise publique dispose en plus le droit d’acheter et de transformer localement le concentré produit à Kipushi.

Les 10 projets miniers les plus riches en zinc au monde

1 grade

Source : Wood Mackenzie, 2022

En janvier 2024, la Gécamines a conclu un nouvel accord avec Ivanhoe pour faire passer sa participation dans le projet Kipushi de 38% actuellement à 43% à partir du 25 janvier 2027. La structure du partenariat conclu par les deux parties implique que les intérêts d’Ivanhoe diminueront progressivement au fil des années au profit de la RDC.

« Le développement réussi de Kipushi créera de la prospérité à plusieurs niveaux. Nous créerons des emplois locaux et développerons l’économie locale, tout en renforçant structurellement la Gécamines et la République démocratique du Congo, en les plaçant sur la scène mondiale pour la production de minerais stratégiques », a déclaré le président de Gécamines, selon des propos relayés en juillet par Agence Ecofin.

Une des principales interrogations que suscite la gouvernance des ressources naturelles de la RDC est leur impact réel sur l’amélioration de la vie des populations. Selon la Banque mondiale, la RDC figure parmi les cinq nations les plus pauvres du monde. « En 2023, environ 74,6% des Congolais vivaient avec moins de 2,15 dollars par jour. Environ une personne sur six vivant dans une extrême pauvreté en Afrique subsaharienne habite en RDC », soutient l’organisation. Le gouvernement devrait donc veiller à ce que les engagements d’Ivanhoe en matière de contenu local, de création d’emplois et d’impact sur les populations soient respectés.

Louis-Nino Kansoun

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La téléphonie mobile est aujourd’hui un véritable catalyseur du développement économique et social en Afrique. Les différents services qu’elles proposent contribuent chacun à l’amélioration des conditions de vie de millions de personnes. En RDC, en particulier, le marché télécoms n’a pas encore atteint son véritable potentiel. Cela pourrait changer rapidement au cours des dix prochaines années, avec le retour des ressources du Fonds de développement du service universel (FDSU) amputé au secteur depuis 2013. Une bonne nouvelle en perspective pour les différentes composantes du marché télécoms national résolues à jouir des dividendes de la transformation numérique engagée par l’État depuis 2019.

Le Fonds de développement des services universels (FDSU) des télécommunications reprend officiellement ses fonctions bientôt. Au cours des dix dernières années, cet outil chargé de promouvoir les télécommunications dans les zones rurales et périurbaines de la République démocratique du Congo (RDC) était en berne. Les 3% du chiffre d’affaires annuel des opérateurs télécoms collectés étaient destinés au renforcement du budget de l’État et non à développer le réseau télécom, expliques le rapport sur les droits numériques et l’inclusion en Afrique Londa 2023 de Paradigm Initiative. En septembre 2022, le président de la République, Félix Tshisekedi, a instruit le Premier ministre de sortir le FDSU de son hibernation dans un délai raisonnable, conformément à loi-cadre n° 013/2002 du 16 octobre 2002 sur les télécommunications (modifiée et promulguée en 2020). Après consultations avec les acteurs du secteur des télécoms, il est actuellement attendu la promulgation du décret portant création, organisation et fonctionnement du FDSU et la nomination de son personnel de direction. L’organe, ressuscité, est au cœur de nombreux enjeux. Il devra également relever de nombreux défis propres au contexte actuel de l’économie numérique en RDC.

Le marché congolais

Au cours des dix dernières années, le marché des télécoms congolais a certes enregistré des évolutions, leur impact est demeuré relativement limité en l’absence du FDSU. Au quatrième trimestre 2013, sur une population de 75 621 700 habitants, le taux de pénétration de la téléphonie mobile était de 37,33% pour 28 231 900 abonnés. Cinq opérateurs télécoms desservaient le marché. À la même période en 2023, sur une population de 95 207 000 habitants, le taux de pénétration de la téléphonie mobile était de 59,1% pour 56 268 376 abonnés.

Synthèse du marché de la téléphonie mobile 2013 - 2023

Indicateurs

  4e trimestre 
2013  

  4e trimestre
2023 

      Variation      

Total abonnés

28 231 900

56 268 376

99.31 %

Taux de pénétration

37,33%

59,1%

21,77%

Abonnés data mobile

2 167 631

29 984 072

1283.26 %

Nbre d’opérateurs

5

4

 

Population de la RDC    

75 621 700

95 207 000

25.9 %

 

La majorité des abonnés aux services télécoms demeure concentrée dans les zones urbaines où vit 46,8% de la population. Selon l’Autorité de régulation des postes et télécommunications du Congo (Arptc), la ville-province de Kinshasa, enregistre le plus grand nombre d’abonnements mobiles. Il représente près de 25% du total national.

Les abonnements par province et par service : fin décembre 2023

1 DEC

Source : ARPTC.

Nombre d’abonnements au service d’Internet mobile par province : fin décembre 2023

1 MOBILE

Source : ARPTC.

Pour le régulateur télécoms, la « stagnation » du taux de pénétration du mobile à 59% - avec un faible pourcentage de la population au moins couverte par un réseau 3G (55%) et 4G (40%) - révèle un marché mobile encore loin de la saturation. Le FDSU a le pouvoir de tout changer.

Sécurité, économie et social

Les services télécoms sont aujourd’hui essentiels à divers secteurs d’activités. Le fonds de développement du service universel, dans son essence, contribue à l’expression de l’utilité des télécoms. Son objectif – financer le déploiement des infrastructures télécoms dans les zones peu, mal ou pas du tout desservies – répond déjà à un enjeu de sécurité nationale. Les télécommunications jouent un rôle crucial dans les communications d’urgence. La crise de la Covid-19 a démontré l’importance des dispositifs d’alerte précoce. La téléphonie mobile est une composante de ce dispositif en ceci qu’il permet la sensibilisation des populations à large échelle ou la mobilisation rapide des forces de sécurité ou médicales en cas d’épidémie comme c’est actuellement le cas avec la variole du singe (Mpox) dont le gouvernement faisait état de 11 166 cas suspects, dont 450 décès dans une communication datée du 20 juillet.

Au Congo voisin où le fonds pour l’accès et le service universel des communications électroniques (Fasuce) a été rendu opérationnel en 2020, c’est 300 000 personnes dans 180 localités difficiles d’accès qui ont été connectées au cours des trois dernières années, selon l’Agence de régulation des postes et des communications électroniques (ARPCE).

Au-delà de la gestion de crises sécuritaires, l’amélioration de la couverture télécoms et de l’accès aux services par le FDSU est un levier d’inclusion numérique. Le fonds favorisera la pleine participation des zones rurales reculées et celles qui demeurent jusqu’à présent non couvertes à la transformation numérique initiée par le gouvernement depuis 2019. Ce sont des milliers de personnes qui pourront s’informer, conserver un lien social avec la famille, travailler.

Le FDSU est aussi un puissant levier économique. La téléphonie mobile apporte divers services à valeur ajoutée comme l’Internet et le Mobile Money. La Banque mondiale estime qu’augmenter le taux de pénétration du haut débit mobile entraîne une augmentation de 1,8% du Produit intérieur brut (PIB) dans les pays à revenu moyen et de 2,0% du PIB dans les pays à faible revenu. En RDC, élargir la base d’utilisateurs d’Internet mobile peut débloquer divers avantages en cascades : une plus grande participation des populations à l’économie numérique, plus de consommation des innovations locales tirées du secteur des startups, un attrait des investisseurs étrangers, un accroissement des revenus des opérateurs télécoms qui s’appuient sur les infrastructures construites par le FDSU pour fournir leurs services.

Le Mobile Money est un service de téléphonie mobile qui rencontre un grand succès en Afrique. Alors que le taux de bancarisation demeure très faible sur le continent, il a contribué à une plus grande inclusion financière. En améliorant l’accès à la téléphonie mobile, le FDSU aura aussi une incidence sur ce segment de marché qui a enregistré 2 645 188 utilisateurs au 4e trimestre 2023. Dans plusieurs pays d’Afrique, étendre la portée du Mobile Money en renforçant la couverture réseau peut contribuer à l’accès d’un plus grand nombre de personnes à petits revenus aux envois de fonds internationaux de la famille, à la réception des aides sociales comme cela a été le cas au Togo pour les ménages les plus pauvres pendant la Covid-19. La micro-épargne est également un service qui rencontre du succès dans d’autres pays, ou encore le micro-crédit qui permet aux ménages de surmonter des chocs financiers imprévus. En fonction des pays, divers services peuvent être proposés pour répondre aux besoins locaux.  Dans le rapport « Digital Finance Platforms to empower all : accelerating the SDG impact of digital financial inclusion in Sub-Saharan Africa », il est souligné qu’une adoption réussie du Mobile Money dans les pays en développement, et plus particulièrement en Afrique, est en mesure d’ajouter un point de pourcentage au taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) par habitant chaque année. Publié le 27 octobre 2022 par Vodafone, Vodacom et Safaricom, en collaboration avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), le document souligne que chaque augmentation d’un point de pourcentage aux taux de croissance du PIB dans un pays entraîne une diminution de la proportion des personnes pauvres de 2,59 %.

Mais pour obtenir toutes ces retombées, le FDSU doit impérativement s’adapter au contexte actuel du marché télécoms en RD Congo.

Défis à relever

Les obstacles qui entravent l’accès de tous aux services télécoms à valeur ajoutée en Afrique et en RD Congo en particulier sont les mêmes. Le Kenya qui a compris la nécessité de faire évoluer le fonds de développement du service universel des télécoms pour qu’il cadre avec le contexte du marché a introduit sa modification en 2022. Elle prévoit entre autres, en plus du déploiement du réseau télécom, de connecter à Internet 884 écoles secondaires publiques réparties dans 47 Comtés ; transformer 56 bibliothèques publiques en centres de ressources électroniques dotés d’ordinateurs, d’une connectivité Internet et de logiciels pour les malvoyants ; de numériser le contenu éducatif.

Au Congo, le FDSU devra se concentrer sur la couverture réseau. Permettre à un plus grand nombre de personnes d’être couvert par un réseau mobile. Actuellement, près de 38 millions de personnes demeurent privées de tout moyen de communication. Selon l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie mobile (GSMA), la couverture réseau en RDC en 2022 était de 75% pour les réseaux 2G et de 54% pour les réseaux mobiles à haut débit (3G/4G). Ces résultats étaient le fruit d’environ 6 000 sites mobiles installés dans le pays. Pour étendre la couverture télécoms dans les zones vierges et passer de 75 à 80%, il faudrait prévoir environ 150 sites supplémentaires. Pour passer d’une couverture de 90 à 95%, il faudrait créer 5 700 nouveaux sites mobiles. Pour passer d’une couverture de 98 à 99%, il faudrait encore plus de 2 000 sites. Selon la banque mondiale, le coût des investissements requis pour assurer une couverture mobile à large bande quasi universelle en RDC d’ici 2030 est évalué à 864 millions de dollars.

Favoriser l’accès au mobile

Le fonds doit également favoriser l’accès aux appareils mobiles de qualité. Sans téléphones, même dans un périmètre doté d’une couverture réseau, il n’est pas possible d’accéder aux différents services mobiles. Subventionner les téléphones pour les pauvres peut être une approche dans le pays où environ 74,6% de personnes vivaient avec moins de 2,15 dollars par jour en 2023. Selon l’Union internationale des télécommunications, 48% de la population détenait un téléphone mobile en RDC en 2023. Soit une croissance de 51,2%. Une enquête de Target, réalisée en 2021 sur 2000 personnes réparties dans les 26 provinces de RDC, révélait que 49,9% des Congolais seulement possédaient un smartphone. 54% des hommes en possédaient contre 46% chez les femmes. 55% de détenteurs étaient des personnes âgées de 18 à 24 ans ; 59% des utilisateurs de 25 à 34 ans. 35% des Congolais usagers de smartphones utilisent un smartphone Tecno, marque de Transsion. Itel, autre marque de Transsion est la deuxième marque de téléphone la plus utilisée (25%). Viennent ensuite Samsung (22%), iPhone et Huawei (5%). LG et Sony (2%), Nokia, Motorola, Alcatel et Wiko représentent 1%. Les autres marques non identifiées sont utilisées par 6% des Congolais. L’UIT estime le coût d’un téléphone accessible lorsqu’il représente 15 à 20% du revenu mensuel.

Des tarifs abordables

Le coût des services télécoms est également un obstacle majeur à la consommation par les populations. Le FDSU doit avoir un impact dans les zones jugées « non rentables » par les opérateurs télécoms. Les services qui y sont offerts doivent être moins chers que dans les zones urbaines pour permettre aux plus pauvres d’y accéder. Dans plusieurs pays comme le Cameroun, le Sénégal ou encore la Côte d’Ivoire, c’est l’approche qui est privilégiée vu que les opérateurs télécoms n’ont pas directement effectué d’investissements à rentabiliser. La maintenance des équipements n’est pas également à leur charge, mais à celle de l’Autorité de régulation des télécommunications en charge de la gestion du fonds de service universel.

En RDC, le coût d’accès aux forfaits Internet mobile le plus consommé (2 Gigaoctets) est encore perçu comme cher. Alors que la Commission du haut débit milite pour un tarif en dessous ou égal à 2% du revenu national brut (RNB) mensuel par habitant, dans le pays il équivaut encore à 32,7% du RNB. 

En remettant le FDSU dans son rôle, de nombreux changements sont attendus dans le secteur télécoms national. Bien géré, cet outil peut devenir un atout majeur du gouvernement dans la réalisation avec succès du plan national numérique au travers duquel il souhaite diversifier son économie et transformer sa population.

Muriel Edjo

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