Dans un entretien accordé à l’agence de presse américaine Bloomberg, le nouveau gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), André Wameso, a affirmé que son mandat sera guidé par un objectif majeur : réhabiliter le franc congolais (FC) et réduire la dépendance structurelle du pays au dollar américain. « Nous devons faire en sorte que la population fasse de nouveau confiance à sa monnaie, car je ne pense pas que nous puissions construire un nouveau Congo avec une autre monnaie que la monnaie nationale », a-t-il expliqué.
En 2012, la RDC avait lancé une stratégie pour réduire sa dépendance au dollar et stimuler l’utilisation du franc congolais. Mais cette initiative « n’a eu qu’un impact marginal et la dollarisation reste très élevée », constate la Banque mondiale dans un rapport publié en juillet dernier. En 2024, le FMI estimait que près de 85 à 90 % des prêts et environ 95 % des dépôts étaient en devises étrangères, principalement en dollars. En 2025, le Fonds a confirmé la persistance de ces niveaux, toujours supérieurs à 90 %, illustrant la difficulté pour la BCC d’exercer une politique monétaire efficace.
La stratégie de Wameso pour s’attaquer à ce problème structurel repose sur trois piliers. Le premier consiste à stabiliser la monnaie grâce à des interventions ponctuelles sur le marché de change, une communication maîtrisée et une politique monétaire restrictive, tant que l’inflation n’est pas ramenée et consolidée à 7 %. Le deuxième vise à créer une demande structurelle de FC, en proposant des rendements attractifs sur les bons de la BCC et les obligations du Trésor libellées en monnaie nationale, tout en stimulant le crédit domestique, notamment dans le secteur de l’habitat. Enfin, le troisième pilier concerne la facilitation des paiements en franc congolais, en rendant son usage systématique dans les transactions numériques et de détail, afin que le recours au dollar cesse d’être l’option la plus simple.
Premières actions
Dès sa prise de fonction, Wameso a ordonné une injection de 50 millions de dollars sur le marché interbancaire, au taux de 2 776 FC pour un dollar. Cette intervention visait à calmer les tensions de change, conformément à la stratégie d’intervention adoptée en janvier dernier avec l’appui du FMI. Elle s’inscrit dans un cadre de politique monétaire déjà restrictive, avec un taux directeur maintenu à 25 % depuis août 2023, destiné à contenir l’inflation, établie à 8,5 % en glissement annuel fin juillet 2025.
Pour atteindre son objectif, l’ancien conseiller économique du président Tshisekedi doit également veiller à l’application des mesures décidées avant son arrivée. En juin 2024, la BCC avait par exemple imposé la reconfiguration de tous les terminaux de paiement électronique pour qu’ils n’acceptent que le franc congolais. Mais cette obligation, entrée en vigueur fin juillet 2024, n’est toujours pas respectée à ce jour.
De manière générale, la réussite de ce pari repose sur plusieurs conditions. Il faudra maintenir une crédibilité anti-inflation, de sorte que les taux d’intérêt réels positifs incitent ménages et entreprises à épargner en monnaie nationale. Le marché financier local devra aussi s’élargir, avec des instruments liquides et un marché secondaire actif pour asseoir la confiance. À cela s’ajoute une discipline budgétaire stricte : si le Trésor contraignait la BCC à financer le déficit, l’ancrage monétaire serait aussitôt remis en cause. Enfin, le fonctionnement transparent du marché de change sera essentiel pour éviter que les ajustements passent par le marché parallèle.
Risques
Les risques restent nombreux. Une transition trop rapide pourrait alimenter un marché informel de devises et fragmenter les prix. Des ventes de dollars non soutenues par des entrées suffisantes fragiliseraient les réserves internationales, qui couvrent actuellement à peine trois mois d’importations. Et une conversion trop brutale des portefeuilles bancaires du dollar vers le franc congolais pourrait accroître le risque de défauts de paiement.
Dans les prochains mois, trois indicateurs seront déterminants pour juger de la crédibilité de cette stratégie : l’écart entre le taux officiel et le taux parallèle, l’appétit du marché pour les instruments en franc congolais, et l’évolution de l’usage effectif du FC dans les paiements électroniques et mobiles. Si ces signaux passent au vert, l’économie congolaise commencera à se réapproprier sa monnaie.
En plaçant la dédollarisation au centre de son mandat et en l’affirmant dès ses premiers entretiens internationaux, André Wameso a donné le ton. La tâche est immense et semée de risques, mais la feuille de route est claire : stabiliser, créer de la valeur pour le franc congolais et en faciliter l’usage. Si l’exécution suit, il pourrait ouvrir une nouvelle ère de souveraineté monétaire pour la RDC.
Georges Auréole Bamba
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