Depuis 2022, Malick Fall est le représentant régional de la Société financière internationale (IFC) pour le Burundi, la République démocratique du Congo (RDC) et la République du Congo. Ce ressortissant sénégalais occupe également, depuis 2021, le poste de représentant résident de l’IFC en RDC. À l’issue de la première édition de l’IFC Day Congo, organisée le 14 janvier 2025 à Brazzaville, l’expert en finance s’est entretenu avec Bankable. Il revient sur les projets de l’IFC au Congo et en RDC, et les enjeux de financement dans ces deux économies en quête de développement.
Bankable : Depuis un an et demi, la Société financière internationale (IFC) a renforcé sa présence au Congo-Brazzaville en y ouvrant un bureau dédié. Toutefois, son portefeuille actuel dans le pays ne compte qu’un investissement d’environ 10 millions de dollars. Quels sont vos objectifs en matière de financement de l’économie dans ce pays ?
Malick Fall : Comme vous l’avez dit, nous avons réalisé l’année dernière un investissement de 10 millions de dollars, mais nous travaillons en parallèle à la préparation de plusieurs autres projets dans les secteurs prioritaires pour le Congo.
Lors de l’IFC Day, nous a mis en avant nos actions dans le secteur de l’énergie, avec pour objectif de réduire le déficit énergétique et de soutenir le développement du secteur de l’électricité. Un projet de partenariat public-privé (PPP) est également en préparation dans le secteur de l’eau, afin d’améliorer l’approvisionnement et la distribution à l’échelle nationale.
L’IFC collabore aussi avec la Banque mondiale sur un nouveau programme visant à attirer davantage d’investissements privés dans l’agriculture. L’objectif est d’augmenter la production agricole locale et de réduire la dépendance aux importations alimentaires.
Enfin, l’institution travaille avec des banques et des entreprises du numérique pour développer de nouveaux services favorisant l’inclusion financière des PME.
Bankable : Avec ces projets, l’IFC pourrait injecter combien dans le secteur privé congolais ? Et à quelle échéance ?
MF : Il est difficile de donner un montant à ce stade. Plusieurs de ces projets sont en cours de préparation. Vous savez, les projets d’infrastructure demandent un niveau de préparation assez important.
Nous disposons au sein de l’IFC d’une approche appelée Upstream, qui nous permet de préparer des projets pour les rendre finançables. L’IFC travaille donc dans ce cadre au Congo pour identifier des opportunités, les structurer et les financer, tout en mobilisant des financements auprès d’autres partenaires financiers afin de répondre aux besoins du pays.
Nous espérons, très bientôt, grâce à l’ensemble des initiatives lancées, augmenter significativement notre portefeuille d’investissement au Congo. Mais aujourd’hui, il est encore trop tôt pour donner un montant précis concernant ces projets en préparation.
Bankable : En tant que représentant régional, avez-vous une ambition en termes de financement pour le Congo ?
MF : Vous savez, le rôle de l’IFC, c’est de financer, mais notre objectif doit être mesuré en termes d’impact. Aujourd’hui, ce qui nous intéresse, ce n’est pas le financement en soi. Le financement est un moyen.
Ce qui nous importe, c’est de savoir combien de personnes auront accès à l’énergie, combien pourront bénéficier des produits issus de nos projets agricoles, ou encore combien de PME pourront accéder au financement grâce aux initiatives et services que nous développons avec nos partenaires.
Nous sommes une institution de développement, et notre priorité est l’impact. Le financement, lui, n’est qu’un levier pour atteindre ces objectifs.
Bankable : Avez-vous donc des objectifs quantifiables ? Combien de personnes voulez-vous, par exemple, connecter à l’électricité ? Quels sont vos objectifs en matière de production agricole ?
MF : Dans chaque pays, nous établissons une stratégie pays qui va encadrer nos actions. Cette stratégie pays est définie à partir des priorités du gouvernement. En l’occurrence, au Congo, nous nous basons sur le Plan national de développement et sur le cadre de partenariat établi avec la Banque mondiale. L’ensemble de ces données nous a permis aujourd’hui de définir les axes stratégiques sur lesquels l’IFC va se positionner.
Au Congo, nous avons quatre axes stratégiques. Le premier, c’est l’inclusion financière. Les PME sont les principaux acteurs qui contribuent à la création d’emplois. Si nous apportons une solution à leurs besoins de financement, nous contribuons également à la création d’emplois.
La deuxième priorité est le développement des infrastructures de base, notamment l’énergie, l’eau et les télécoms. L’énergie, par exemple, est indispensable à l’industrialisation du pays. S’il n’y a pas d’énergie, il n’y aura pas d’industrie. Et sans industrie, les objectifs de création d’emplois peuvent être compromis.
Si nous n’avons pas encore d’acteurs présents sur ces marchés, notre travail consiste aussi à identifier des partenaires potentiels parmi notre réseau de clients pour les inciter à investir au Congo.
Le troisième objectif, c’est le développement des industries réelles. Ce qu’on appelle l’industrie réelle, c’est tout ce qui est industrie et agriculture. Le Congo dispose d’un immense potentiel agricole, avec de grandes surfaces de terres arables qui demandent à être exploitées pour répondre aux besoins du pays et de la sous-région. Le Congo est voisin de grands pays comme la RDC et le Cameroun, qui peuvent représenter des marchés importants.
Nous partons de là et nous identifions les partenaires que nous pouvons accompagner pour atteindre ces objectifs. Et si les conditions ne sont pas réunies, nous prenons les mesures nécessaires pour les créer.
Si aujourd’hui des réformes sont nécessaires, nous allons y travailler en partenariat avec la Banque mondiale, d’autres partenaires et le gouvernement. Si nous n’avons pas encore d’acteurs présents sur ces marchés, notre travail consiste aussi à identifier des partenaires potentiels parmi notre réseau de clients pour les inciter à investir au Congo.
Bankable : Vous avez tout à l’heure évoqué l’un des grands voisins du Congo-Brazzaville : la RDC. Vous êtes aussi le représentant pays de l’IFC pour ce pays immense (plus de 2 millions de km², plus de 100 millions d’habitants), mais confronté à d’importants défis en matière de transport, de logements et d’énergie… Quelles sont vos priorités pour la RDC ?
MF : En RDC, nous avons depuis 2021 accéléré nos activités avec des investissements dans le secteur financier, afin d’apporter les fonds nécessaires pour que les banques puissent prêter davantage aux PME.
Nous avons également beaucoup investi dans les infrastructures télécoms. Il existait un retard très important en matière d’investissements dans ce secteur, qui représente aujourd’hui une part significative de nos engagements en RDC ces dernières années.
Nous intervenons sur tous ces fronts pour créer les conditions favorables à l’implantation de promoteurs immobiliers, afin qu’ils puissent réaliser des projets d’envergure et contribuer à réduire le déficit de logements, estimé à environ 4 millions d’unités selon une étude que nous avons menée.
Bien sûr, nous sommes également présents dans le secteur de l’énergie. Le pays affiche un taux d’accès à l’électricité très bas, autour de 19 % ou 20 %, et nous avons l’ambition d’apporter des solutions, parfois innovantes, pour réduire ce déficit énergétique.
Sur ce point, nous travaillons actuellement à la préparation de plusieurs projets dans le secteur de l’énergie, qui devraient permettre, je l’espère, très bientôt, d’améliorer ce taux d’accès encore assez bas.
Bankable : En 2024, vous estimiez qu’il fallait un investissement de 132 milliards de dollars sur les 16 prochaines années pour réduire le déficit de logements en RDC. Et selon nos informations, vous avez un projet dans ce secteur. Où en êtes-vous ?
MF : Le logement est un enjeu très important pour la RDC. Pour vous donner une idée, une ville comme Kinshasa va doubler de population d’ici les 30 prochaines années. Aujourd’hui, elle compte 15 à 20 millions d’habitants, selon les sources, et bientôt, elle sera l’une des plus grandes mégalopoles d’Afrique.
Mais il n’y a pas assez de logements construits chaque année pour répondre à cette demande, en particulier sur le segment des logements accessibles à la classe moyenne. Face à ce constat, nous avons identifié une opportunité d’accroître massivement les investissements dans ce secteur et travaillons actuellement sur les réformes nécessaires pour attirer ces investissements.
Plusieurs défis doivent être levés : des problèmes fonciers, des difficultés dans l’établissement des titres de propriété, ainsi qu’un marché hypothécaire encore insuffisant. Nous intervenons sur tous ces fronts pour créer les conditions favorables à l’implantation de promoteurs immobiliers, afin qu’ils puissent réaliser des projets d’envergure et contribuer à réduire le déficit de logements, estimé à environ 4 millions d’unités selon une étude que nous avons menée.
C’est un projet de longue haleine, mais les enjeux sont majeurs, puisqu’il s’agit de permettre à chaque Congolais d’accéder à un logement décent à un prix compétitif.
Bankable : Un des défis en RDC est la difficulté d’obtenir des prêts longs. Avez-vous des actions précises pour permettre aux banques d’accorder des crédits à long terme ?
MF : L’IFC peut mettre à disposition des banques locales des ressources à long terme, notamment pour développer le marché hypothécaire. Lorsqu’un Congolais souhaite acheter une maison, si on lui propose un crédit sur 10 ans, cela lui permet d’être éligible à certains logements.
Cependant, la mise à disposition de crédits à long terme ne suffira pas à résoudre le problème. Il faut également créer les conditions nécessaires pour produire des logements de qualité. Ces deux actions doivent avancer simultanément.
Depuis 2021, nous avons investi en cumulatif un peu plus de 550 millions de dollars en RDC, dans les différents secteurs que j’ai évoqués tout à l’heure. Mais l’activité de l’IFC en RDC ne se limite pas aux investissements.
On ne peut pas régler le problème de l’offre sans considérer la demande, et inversement, si l’on résout l’aspect demande sans traiter celui de l’offre, le marché restera déséquilibré.
Nous travaillons donc sur ces deux fronts. D’un côté, nous avons la possibilité de mettre à disposition des crédits à long terme, ce qui permettra à un plus grand nombre de Congolais d’accéder au logement. Mais à côté de cela, il faut aussi attirer des promoteurs immobiliers solides, avec l’expérience et la capacité de construire des logements en masse en RDC. »
Bankable : Quel est le volume de votre portefeuille actuel ?
MF : Depuis 2021, nous avons investi en cumulatif un peu plus de 550 millions de dollars en RDC, dans les différents secteurs que j’ai évoqués tout à l’heure. Mais l’activité de l’IFC en RDC ne se limite pas aux investissements. De manière plus générale, nous apportons également un appui en services-conseils pour aider le pays à relever plusieurs défis.
Par exemple, nous travaillons étroitement avec la Banque centrale pour améliorer l’infrastructure financière. Un des projets en cours est la mise en place d’un crédit bureau, qui permettrait aux banques d’avoir une meilleure information sur les emprunteurs et ainsi de prêter avec plus de sûreté. À terme, cela pourrait augmenter le taux de crédit au secteur privé.
Nous avons également collaboré avec le ministère des Finances pour la révision de la loi sur le crédit-bail, afin de le rendre plus attractif et de donner aux banques un outil largement utilisé dans d’autres pays, notamment par les PME.
Interview réalisée par Aboudi Ottou
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