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Malick Fall  (IFC) : « Nous travaillons pour développer le marché des capitaux en RDC »

Malick Fall (IFC) : « Nous travaillons pour développer le marché des capitaux en RDC »

Accès au financement, déficit de logements, électrification, agriculture… Représentant régional de la Société financière internationale (SFI ou IFC en anglais) pour la République démocratique du Congo (RDC), le Burundi et le Congo-Brazzaville, Malick Fall détaille les principaux freins au développement du secteur privé en RDC. Dans cet entretien, il revient aussi sur les réformes engagées avec les autorités congolaises et les projets en cours pour débloquer les investissements dans des secteurs clés.

Bankable : Comment l'IFC évalue-t-elle aujourd'hui les principaux obstacles à l'accès au financement en RDC ?

Malick Fall : L'accès au financement est un sujet très pertinent pour l’IFC, en particulier l'accès au financement des PME puisqu'il s'agit d'un secteur porteur a fort potentiel d'emplois, et l'agenda de la création d'emplois est une priorité majeure pour le Groupe de la Banque mondiale dont l'IFC fait partie.

Il existe plusieurs obstacles à l'accès au financement des PME. Elles sont majoritairement informelles, et donc il est plus complexe pour elles d'avoir accès à des instruments financiers formels. Elles disposent d'états financiers souvent non audités, ce qui ne leur permet pas de pouvoir démontrer leur solvabilité. Leur taille souvent très petite et leur vulnérabilité par rapport aux variations économiques les rendent aussi plus risquées aux yeux des institutions financières.

La situation reste préoccupante, avec un déficit de financement des PME représentant 27 % du PIB en 2024, soit environ 11 à 12 milliards de dollars. Plus de la moitié des petites et moyennes entreprises sont confrontées à des difficultés d’accès au financement.

Conscients des défis structurels entravant l’accès au financement pour les petites et moyennes entreprises en République Démocratique du Congo, nous avons élaboré et mis en œuvre une stratégie ciblée visant à renforcer leur inclusion financière. Celle-ci repose sur la mobilisation de financements dédiés, déployés à travers les institutions financières locales qu’il s’agisse de banques commerciales ou de sociétés de microfinance.

À ce jour, notre portefeuille s’élève à un peu plus de 100 millions de dollars, et nous ambitionnons de plus que doubler cet engagement en diversifiant nos instruments, notamment par des lignes de crédit, des garanties, et des prises de participation. Ces interventions sont systématiquement accompagnées d’une assistance technique, afin de renforcer les capacités des institutions financières à mieux servir des segments clés tels que les femmes entrepreneures ou les acteurs du secteur agricole. L’objectif est clair : doter les institutions financières des moyens nécessaires pour soutenir durablement la croissance des PME, moteur essentiel du développement économique inclusif.

Bankable : En février 2023, l’IFC estimait le déficit de financement des micro, petites, moyennes entreprises à 26 % du PIB. Quelle est la situation aujourd'hui, un an plus tard, et quelles réformes structurelles recommandez-vous pour combler le gap ?

Malick Fall : La situation reste préoccupante, avec un déficit de financement des PME représentant 27 % du PIB en 2024, soit environ 11 à 12 milliards de dollars. Plus de la moitié des petites et moyennes entreprises sont confrontées à des difficultés d’accès au financement. L’ampleur de ce déficit souligne l’urgence de réformes structurelles profondes, que nous menons en étroite collaboration avec le ministère des Finances et la Banque centrale du Congo.

Dans ce cadre, nous avons activement contribué à la révision de la loi sur le crédit-bail, un instrument de financement particulièrement adapté aux besoins des PME. Cette réforme vise à rendre le crédit-bail plus attractif et accessible, en permettant aux entreprises d’accéder à des équipements sans avoir à mobiliser des garanties qu’elles ne possèdent souvent pas.

Par ailleurs, nous accompagnons les autorités congolaises dans le développement du marché des capitaux, un levier essentiel pour diversifier les sources de financement et mobiliser des ressources à long terme. Ce type de financement est crucial pour des secteurs stratégiques comme l’industrie, qui nécessitent des investissements durables pour soutenir leur croissance.

L’étude a notamment mis en lumière que le stock total de crédit hypothécaire en RDC ne dépasse pas 30 millions de dollars soit moins de 1 % de l’ensemble des crédits distribués dans le pays.

Nous collaborons également étroitement avec la Banque centrale pour la mise en place d’un bureau de crédit national. Cet outil est essentiel pour permettre aux institutions financières d’accéder à des informations fiables et actualisées sur le profil de crédit des emprunteurs. Une telle transparence réduite considérablement l’asymétrie d’information et, par conséquent, le risque associé à l’octroi de prêts.

Chaque fois que nous avons soutenu la création de ce type de dispositif dans d’autres contextes, nous avons observé une augmentation significative du volume de prêts accordés. En effet, une meilleure connaissance du risque permet aux institutions financières de prêter avec plus de confiance, ce qui favorise une inclusion financière plus large. Ce projet s’inscrit dans un ensemble d’initiatives que nous menons, en complément de nos investissements, pour renforcer l’infrastructure financière du pays et rendre la distribution du crédit plus sûre, plus efficace et plus inclusive

Bankable : L'accès au logement reste aussi extrêmement limité pour la majorité des Congolais, notamment à raison de l'absence d'un véritable marché hypothécaire. Vous aviez indiqué récemment que l'IFC s'intéresse aussi à cette problématique. Quelle initiative concrète avez-vous engagée à ce sujet ?

Malick Fall : Écoutez, la question du logement est un enjeu majeur en République Démocratique du Congo, un pays vaste, à la démographie dynamique, la population urbaine croit très rapidement et dont l’urbanisation progresse à un rythme soutenu. Pourtant, le déficit de logements y demeure alarmant. Une étude approfondie que nous avons menée en 2022 a révélé un déficit estimé à 4 millions d’unités. Pour commencer à combler cet écart, il faudrait construire plus de 250 000 logements par an, dont près de la moitié à Kinshasa.

Malheureusement, les financements disponibles pour le secteur restent extrêmement limités. L’étude a notamment mis en lumière que le stock total de crédit hypothécaire en RDC ne dépasse pas 30 millions de dollars soit moins de 1 % de l’ensemble des crédits distribués dans le pays. Ce chiffre illustre à lui seul l’ampleur du défi.

Pour y répondre, il est impératif de mettre en œuvre des réformes structurelles visant à sécuriser les transactions immobilières, renforcer la confiance des investisseurs et créer un environnement propice à l’engagement du secteur privé. Le développement d’un écosystème de financement du logement, accessible et durable, est essentiel pour répondre aux besoins croissants de la population et soutenir une urbanisation inclusive.

En partenariat avec la Banque mondiale, nous avons proposé un programme de réforme du climat des affaires dans le secteur du logement. Ce programme comprend notamment un appui à la réforme du notariat, afin de renforcer la sécurité juridique des transactions immobilières.

L’étude a également mis en évidence plusieurs obstacles majeurs à l’investissement privé dans le secteur du logement. L’un des plus préoccupants est l’insécurité foncière : près de 80 % des litiges traités par les tribunaux en RDC concernent des conflits liés à la propriété foncière. Il est donc impératif d’apporter des réponses concrètes et durables à ces problématiques.

En partenariat avec la Banque mondiale, nous avons proposé un programme de réforme du climat des affaires dans le secteur du logement. Ce programme comprend notamment un appui à la réforme du notariat, afin de renforcer la sécurité juridique des transactions immobilières. Un notaire doté de responsabilités accrues peut jouer un rôle clé dans la fiabilisation des échanges entre acheteurs et vendeurs, ce qui contribuerait à stimuler l’activité dans ce secteur.

Par ailleurs, nous avons identifié des réformes prioritaires pour améliorer l’accès au crédit. À l’heure actuelle, le certificat d’enregistrement qui constitue le titre de propriété n’est généralement délivré qu’après la mise en valeur du terrain. Cette pratique empêche les promoteurs immobiliers d’utiliser le foncier comme garantie pour obtenir un financement bancaire. Une réforme de ce mécanisme permettrait aux banques de mieux sécuriser leurs prêts et de financer plus activement le développement du logement.

Bankable : À quelle échéance pensez-vous que ce programme peut aboutir ?

Malick Fall : Il est essentiel d’agir avec diligence, mais également avec rigueur. Nous travaillons activement à la mise en œuvre des réformes nécessaires, mais ce qui importe avant tout, c’est de bien les concevoir. Lorsqu’il s’agit d’intervenir sur le cadre réglementaire et légal, la précipitation peut compromettre la qualité et l’impact des mesures adoptées.

Il est donc fondamental que ce processus soit inclusif, associant l’ensemble des parties prenantes concernées, afin de garantir que les textes qui en découleront soient à la fois pertinents, applicables et porteurs de résultats concrets. En somme, il faut avancer rapidement, mais sans précipitation avec méthode, concertation et vision à long terme.

Bankable : La RDC ambitionne de tripler son taux d'accès à l'électricité d'ici 2030, dans le cadre du Compact énergétique national, en mobilisant près de 20 milliards de dollars d'investissement privé. L’IFC prépare des projets dans ce domaine. Quels en seront les contours ?

Malick Fall : Le secteur de l’électricité constitue un pilier stratégique de l’action de l’IFC en République Démocratique du Congo. Il est en effet impossible de parler d’industrialisation sans un accès fiable et durable à l’énergie. Or, le déficit énergétique du pays reste considérable, tant en milieu urbain que rural.

C’est pourquoi nous travaillons activement sur plusieurs projets structurants. Nous saluons notamment l’initiative Compact M300, qui vise à améliorer la coordination entre les différents acteurs du secteur. Une meilleure synergie permettra de renforcer la complémentarité des interventions et d’accélérer les résultats sur le terrain.

Parmi nos initiatives phares figure le programme Scaling Mini-Grid, que nous menons conjointement avec la Banque mondiale. Ce programme a pour objectif de créer des plateformes favorisant le développement de mini-réseaux électriques dans les zones les plus isolées, où l’accès à l’électricité reste très limité.

En ce qui concerne l’IFC, nous intervenons sur l’ensemble de la chaîne de valeur : production, transmission et distribution. Nous soutenons des projets en tant qu’investisseur, mais aussi en tant que co-développeur, afin de structurer des projets viables, bancables, et capables d’attirer des financements à long terme, qu’ils proviennent de l’IFC ou d’autres partenaires financiers intéressés par ce secteur stratégique.

Bankable : Vous pouvez déjà nommer quelques projets ?

Malick Fall : Oui, bien sûr. Comme mentionné, nous travaillons actuellement sur l’initiative Scaling Mini-Grid, en partenariat avec la Banque mondiale. Ce projet est en cours de déploiement dans la région du Kasaï. Il vise à créer un cadre clair et incitatif pour attirer des opérateurs privés dans la production et la distribution d’électricité à travers des mini-réseaux. Nous avons beaucoup d’espoir pour cette initiative : si elle réussit, elle pourrait être répliquée dans d’autres régions de la RDC, voire dans d’autres pays africains confrontés à des défis similaires.

Nous travaillons également sur un projet dans le domaine de la transmission électrique. Comme je l’ai souligné, il est essentiel d’étendre les réseaux de transport pour garantir une distribution équitable de l’électricité sur l’ensemble du territoire. Ces projets sont actuellement en phase de préparation, et nous espérons pouvoir en partager davantage dès qu’ils auront atteint un stade plus avancé.

Bankable : L'agriculture est un autre pilier du programme de l'IFC en RDC. En 2023, vous avez été parmi les organisateurs de l'Agribusiness Forum. Plus d'un an après, qu'est-ce qui s'est fait de concret à partir des observations, des recommandations de cette grande discussion ?

L’agriculture représente également un secteur clé pour le développement économique de la République Démocratique du Congo. Le pays dispose d’un potentiel agricole exceptionnel, avec des millions d’hectares de terres arables et des ressources en eau abondantes. Si ce potentiel est pleinement exploité, la RDC pourrait devenir une véritable puissance agricole sur le continent.

Pourtant, malgré ces atouts, le pays importe chaque année près de 2 milliards de dollars de denrées alimentaires pour répondre à ses besoins de consommation. C’est une anomalie économique, compte tenu de ses capacités naturelles. À l’inverse, avec les réformes appropriées et un environnement propice à l’investissement, la RDC pourrait non seulement atteindre l’autosuffisance alimentaire, mais également générer plus de 2 milliards de dollars d’exportations agricoles.

Nous avons récemment investi dans un projet agricole de 5 000 hectares dans le Katanga, dédié à la production de maïs et de blé. Il s’agit d’un premier investissement structurant, qui, nous l’espérons, servira de catalyseur pour d’autres initiatives similaires à travers le pays.

L’un des enseignements majeurs issus de l’Agribusiness Forum, que nous avons organisé conjointement avec le ministère des Finances, le ministère de l’Agriculture et la Banque africaine de développement, est la nécessité d’améliorer le cadre d’investissement pour attirer durablement les capitaux privés dans le secteur agricole. C’est dans cette perspective que nous avons engagé un travail approfondi sur les zones économiques spéciales (ZES), afin de créer des espaces sécurisés et compétitifs pour les investisseurs.

Ces zones doivent offrir des garanties fondamentales : sécurité foncière, accès à des infrastructures de base (transport, électricité, eau), et un environnement juridique stable et incitatif. Ce sont des conditions essentielles pour mobiliser des investissements de long terme, souvent intensifs en capital. Nous nous réjouissons des progrès réalisés à ce jour. En collaboration avec la Banque mondiale, nous avons contribué à l’élaboration de plusieurs décrets visant à rendre les ZES plus opérationnelles et attractives. Ces avancées réglementaires sont cruciales pour renforcer la crédibilité du dispositif et stimuler l’investissement privé.

Par ailleurs, nous avons récemment investi dans un projet agricole de 5 000 hectares dans le Katanga, dédié à la production de maïs et de blé. Il s’agit d’un premier investissement structurant, qui, nous l’espérons, servira de catalyseur pour d’autres initiatives similaires à travers le pays.

Bankable : Vous ne communiquez pas suffisamment sur les opportunités qu'offre ce nouveau cadre pour les investissements dans le secteur agricole…

Malick Fall : Il s’agit d’un processus en cours. Il est vrai que des progrès significatifs ont été réalisés, mais nous ne sommes pas encore au terme du chemin. Chaque étape doit être franchie avec rigueur et dans le bon Momentum. Nous entretenons une excellente collaboration avec les autorités congolaises sur les questions liées aux zones économiques spéciales, et les avancées obtenues jusqu’ici sont encourageantes.

Toutefois, comme pour toute réforme structurelle, il est essentiel de prendre le temps nécessaire pour garantir la solidité et la durabilité des résultats. Nous poursuivons activement ce travail, en partenariat étroit avec le gouvernement et la Banque mondiale. Et bien entendu, nous communiquerons sur les résultats de ce processus en temps opportun, dès que les conditions seront réunies pour le faire de manière claire et constructive.

Interview réalisée par Aboudi Ottou

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