En République Démocratique du Congo (RDC), les dépenses annuelles liées à l’achat de charbon de bois, communément appelé makala, sont estimées à 4 milliards de dollars, a déclaré le directeur général de la Société nationale d’électricité (SNEL). « En RDC, on dépense à peu près 6 milliards de dollars par an pour l’énergie : 4 milliards pour le makala, un milliard pour les produits pétroliers et 1,2 milliard pour l’électricité », a précisé Fabrice Lusinde. Ce dernier intervenait lors d’un panel intitulé « Déficit énergétique : et si les miniers apportaient la lumière ? », organisé dans le cadre de la 10e édition du forum d’affaires Makutano, qui s’est achevée le 15 novembre 2024 à Kinshasa.
Selon ces données, le charbon de bois représente 67 % du marché de l’énergie en RDC. D’autres études estiment que le bois-énergie constitue jusqu’à 94 % du mix énergétique national, une situation qui alimente la déforestation et donc le réchauffement climatique. Pour le directeur général de la SNEL, cela représente de parts de marché que son entreprise peut capter même en partie. « Nous avons fait de petites expériences… Dans les endroits où nous avons mis des compteurs, on s’est rendu compte que les ménages réduisaient leur consommation de makala », a expliqué Fabrice Lusinde, soulignant ainsi le potentiel de l’électrification pour réduire progressivement la dépendance au bois-énergie.
Malgré la libéralisation du secteur de l’électricité en 2014, la SNEL détient encore près de 90 % des capacités électriques installées, selon des documents officiels consultés par Bankable. Cependant, ces capacités restent largement insuffisantes face à la demande. En 2023, la puissance installée en RDC atteignait 3 238,87 MW (dont 97,49 % provenant de l’hydroélectricité), mais seulement 67,12 % de ces capacités étaient opérationnelles, laissant le taux d’accès à l’électricité à peine supérieur à 20 %.
Coalition anti-makala
« L’enjeu aujourd’hui est de voir comment, avec tous les mécanismes qu’offrent par exemple les banques multilatérales, on arrive à convertir les 4 milliards de dollars dépensés chaque année en RDC pour le bois-énergie en unités de production d’hydroélectricité », a déclaré Fabrice Lusinde, soulignant la nécessité de mobiliser ces ressources pour développer des infrastructures énergétiques durables.
La question préoccupe le gouvernement. Lors du conseil des ministres du 8 novembre 2024, le ministre des Ressources hydrauliques et de l’Électricité, Teddy Lwamba, a présenté un projet ambitieux dénommé Compact Énergie Nationale. L’un des objectifs est d’augmenter l’accès à des modes de cuisson propres, en passant d’un taux de progression annuel de 1 % à 6 %, et de mobiliser des capitaux à hauteur de 18,66 millions de dollars pour y parvenir. Le projet vise également à élever le taux d’accès à l’électricité, actuellement estimé à 21,5 %, pour atteindre 62,5 % d’ici 2030. Pour cela, un investissement total de 36,5 milliards de dollars est nécessaire, dont 19,5 milliards devront être mobilisés auprès du secteur privé. Toutefois, les détails concrets du projet n’ont pas encore été dévoilés, laissant en suspens les modalités de sa mise en œuvre.
Des acteurs sont également mobilisés pour améliorer l’accès aux énergies vertes en RDC. Le 28 octobre 2024, plusieurs parties prenantes se sont réunies sous l’égide du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour lancer la version congolaise du programme de mini-réseaux électriques en Afrique. Cette rencontre a mis l’accent sur des thématiques clés telles que le financement et les modèles opérationnels adaptés au contexte local.
Par ailleurs, le PNUD pilote déjà le Fonds national REDD (FONAREDD), soutenu par des financements de l’Initiative pour les Forêts d’Afrique Centrale (CAFI). Ce programme vise notamment à renforcer les capacités de production et d’accès à des sources d’énergie durable, contribuant ainsi à la lutte contre la déforestation tout en promouvant une transition énergétique inclusive en RDC.
Des emplois en jeu
La Banque mondiale, via l’IDA et l’IFC, joue également un rôle clé dans la transformation du secteur énergétique en RDC à travers un projet qui vise à renforcer la gouvernance dans les secteurs de l’électricité et de l’eau, tout en améliorant la rentabilité des acteurs impliqués, notamment la SNEL. Le budget total de ce programme s’élève à 944 millions de dollars. L’IDA prévoit d’y injecter jusqu’à 600 millions de dollars, tandis que l’IFC contribuera à hauteur de 160 millions de dollars. La participation des acteurs privés est estimée à 174 millions de dollars, tandis que l’État devrait apporter 10 millions de dollars.
Dans le secteur privé, le fonds d’investissement Spark+ Africa Fund a récemment annoncé l’octroi d’un prêt de 3 millions de dollars au groupe Altech, basé en RDC. Ce financement vise à fournir, sur une période de 48 mois, des fourneaux améliorés à plus d’un million de clients à faibles revenus. L’investissement doit également de développer les capacités de production locale en soutenant la mise en place de six installations d’assemblage en RDC, capable de produire plus de 30 000 fourneaux améliorés par mois.
Réduire la dépendance au makala ne sera pas sans conséquences sociales. En effet, ce secteur emploie et rémunère des millions de personnes tout au long de sa chaîne de valeur, qui risquent d’être évincées sans compensation en cas de réussite des projets en cours. De plus, le coût actuel des énergies propres reste inaccessible pour une grande partie de la population de la RDC, où le produit intérieur brut par habitant, bien qu’ayant connu une amélioration ces dernières années, ne dépasse pas encore les 750 dollars.
Georges Auréole Bamba
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