D’après les données disponibles dans le Compact énergétique national, publié il y a quelques semaines, la Société nationale d’électricité (SNEL) — qui assure 90 % de la production électrique en République Démocratique du Congo (RDC) — a perdu 5,74 gigawatts d’électricité en 2022. Cela représente près de 46 % de la production totale de l’année.
Dans le détail, 35 % des pertes surviennent au stade de la distribution, entre les postes de transformation et les consommateurs finaux, selon le document. La vétusté du réseau électrique, dont la détérioration s’est aggravée au fil des années faute de rénovations adéquates, est identifiée comme la principale cause de ces pertes. À cela s’ajoutent des pertes dues à la fraude et aux raccordements illégaux. Pour comprendre l’ampleur de la situation, il faut savoir que dans un pays voisin comme l’Ouganda, ces pertes se situent à 16,2 % en 2023, selon le rapport annuel de l’entreprise chargée de la distribution d’électricité.
Déséquilibre financier
En principe, la SNEL peut répercuter ces pertes sur la facturation des clients. Sur la base du coût moyen de production, estimé à 0,4 dollar par kWh dans le Compact énergétique national, ces pertes représentent un manque à gagner de 2,29 milliards de dollars en 2022. Pourtant, selon une publication du ministère du Budget, le chiffre d’affaires de l’entreprise cette année-là n’était que de 875 millions de dollars.
Cet écart illustre les difficultés de l’entreprise publique à mobiliser les ressources nécessaires pour réduire ses pertes, améliorer sa capacité de distribution et répondre à la forte demande non satisfaite. Aujourd’hui, selon les chiffres officiels, près de 80 % de la population n’a pas accès à l’électricité, tandis que les entreprises industrielles et minières évoquent régulièrement le coût élevé et le déficit énergétique comme un frein à leur compétitivité.
Il faut rappeler que les tarifs appliqués par la SNEL sont fixés par le gouvernement. Selon un arrêté du 5 novembre 2022, le kilowattheure d’électricité est vendu aux clients, selon les catégories et les zones, à un prix moyen pondéré de 0,17 de dollar. Le Compact énergétique national l’estime à 0,09 de dollar, en tenant compte des prix forfaitaires. Ce niveau tarifaire est jugé insuffisant pour couvrir les coûts de production.
Création d’une autre société…
Face à ce déséquilibre financier, la SNEL a souvent eu recours à des mécanismes de financement spécifiques avec le secteur minier. Un système de prêts, accordés sur sept ans, permet aux entreprises minières de payer seulement 60 % de leur consommation, avec un remboursement différé. À la fin décembre 2022, la dette accumulée par l’entreprise publique dans ce cadre atteignait près d’un milliard de dollars.
La réduction des pertes techniques d’électricité est donc un enjeu central pour la diversification énergétique prônée par les autorités. Pour la SNEL, des financements de long terme à des taux concessionnels pour moderniser le réseau et réduire les coûts de distribution sont difficiles à mobiliser. Du coup, avec les modifications récemment apportées à la loi sur l’électricité, la création d’un nouvel acteur avec une meilleure assise financière est en réflexion.
Ces défis s’inscrivent dans un contexte où la RDC, avec son immense potentiel hydroélectrique, pourrait théoriquement alimenter toute l’Afrique centrale jusqu’au Nigeria, et l’Afrique australe jusqu’en Afrique du Sud. Le projet du Grand Inga, qui reste un symbole de cette ambition, met en évidence le rôle que pourrait jouer la RDC en tant que « pays solution » pour la transition énergétique mondiale. Avec une population de plus de 100 millions d’habitants en forte croissance, il est impératif que le pays puisse garantir une offre d’énergie abondante, abordable et fiable pour favoriser l’émergence de nouvelles chaînes de valeur économique, au-delà du seul secteur minier.
Idriss Linge et Timothée Manoke, stagiaire
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