À la tête du conseil d’administration de la Générale des carrières et des mines (Gécamines) depuis février 2023, Guy-Robert Lukama porte une vision ambitieuse pour l’entreprise publique. Il l’a présentée lors de l’African Investment Forum (AIF), organisé à Rabat, au Maroc, du 26 au 28 novembre 2025 par la Banque africaine de développement (BAD), où il était invité à débattre des enjeux liés aux minerais critiques.
Selon le président du conseil d’administration (PCA), le géant congolais ne souhaite plus se contenter de ses rentes géologiques. Il entend opérer un pivot stratégique majeur : passer de l’extraction à la chimie, en tirant les leçons du passé et en s’inspirant de la réussite de la filière phosphate marocaine. « C'est la raison pour laquelle on regarde les modèles des autres : comment ils ont transformé leur activité, passant de producteur de phosphates à producteur d'engrais. C'est ce cheminement que nous essayons de copier », explique Guy-Robert Lukama.
Celui qui a commencé à travailler avec la Gécamines en 2018 comme consultant indépendant en transformation veut notamment s’appuyer sur la trajectoire du groupe marocain OCP pour réorienter la filière cobalt congolaise. La stratégie, « en cours de mise en place », vise à produire non plus de l’hydroxyde de cobalt, mais des précurseurs de batteries.
Projets dans le pipe
La vision du PCA s’inscrit dans la ligne des autorités du pays. « Quand nous regardons le continuum de création de valeur, de la mine jusqu’à la voiture électrique, nous ne captons que moins de 7 % de cette valeur dans le modèle actuel (industrie extractive). C’est un modèle qui ne marche pas », a déclaré le ministre des Mines, Louis Watum Kabamba. Il intervenait lors de la table ronde « De la richesse du sous-sol à la souveraineté industrielle », organisée le 25 novembre au forum Makutano.
Dans cette perspective, le PCA a annoncé l’existence de « trois projets dans le pipe », représentant à eux trois une capacité d’environ 40 000 tonnes, sans davantage de précisions. Il s’agit désormais d’identifier des partenaires prêts à s’engager dans cette nouvelle logique de transformation. Pour Louis Watum, la Gécamines conserve des atouts majeurs : un patrimoine minéral important, une connaissance fine de l’environnement et du sous-sol.
La RDC mise également sur les Zones économiques spéciales (ZES) pour attirer les investisseurs dans la transformation locale. Ces espaces offrent des facilités fiscales, administratives, infrastructurelles et logistiques. L’aménagement d’une ZES dédiée aux précurseurs de batteries, aux batteries et potentiellement à l’assemblage de véhicules électriques à partir des matières premières locales a été lancé en mars dernier. Fin 2024, le Maroc — déjà présent dans le secteur via Managem, qui exploite la mine de Pumpi (cuivre et cobalt) dans le Lualaba — avait été invité à rejoindre ce projet lors d’une réunion organisée par la Commission économique pour l’Afrique (CEA).
Entreprise en déclin industriel
Pour le ministre, la Gécamines a d’ailleurs vocation à être un opérateur minier plutôt qu’une simple entreprise de participation. Mais les ambitions se heurtent à la réalité industrielle. Le rapport d’activité 2024 de la Gécamines décrit une entreprise en déclin : zéro tonne de cobalt produite en propre en 2023 et 2024, seulement 8 065 tonnes de cuivre, des usines à l’arrêt, une dépendance massive au traitement à façon, aux partenaires et aux scories. L’entreprise ne dispose donc pas, à ce stade, des infrastructures, des compétences ni du capital humain nécessaires pour opérer une industrie chimique de niveau international.
Guy-Robert Lukama en a conscience : « Quand on parle de batterie… c'est de moins en moins des ingénieurs miniers ou métallurgistes, c'est de plus en plus des ingénieurs chimistes ». Pour combler ce déficit, l’ancien banquier se montre favorable à une articulation entre l’expertise de la diaspora et celle des équipes locales historiques. Il reconnaît toutefois la nécessité de « gérer les équilibres » afin d’éviter que les collaborateurs restés au pays ne se sentent « sacrifiés » face au retour de talents venus de l’étranger.
George Auréole Bamba et Pierre Mukoko
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