La République Démocratique du Congo (RDC) a engagé des poursuites pénales contre des filiales locales d’Apple en France et en Belgique, rapportent, ce 17 décembre 2024, plusieurs médias internationaux citant les avocats de la partie congolaise. L’entreprise américaine et ses filiales sont accusées de « dissimulation de crimes de guerre, de blanchiment de minerais entachés, de recel et de pratiques commerciales trompeuses visant à rassurer les consommateurs sur la propreté de sa chaîne d’approvisionnement ». Si l’annonce fait grand bruit, plusieurs zones d’ombre demeurent.
Ce que l’on sait de l’affaire
En avril 2024, la RDC a adressé une mise en demeure à Apple. Dans ce document, l’État congolais demandait à la multinationale de s’expliquer sur l’origine des minerais 3T (étain, tungstène, tantale) utilisés dans ses produits électroniques. Kinshasa affirmait que ces minerais étaient extraits dans des conditions illégales en RDC, puis acheminés par contrebande vers le Rwanda avant d’intégrer les chaînes d’approvisionnement mondiales. La société disposait de trois semaines pour répondre.
En mai, les avocats congolais avaient annoncé avoir reçu de nouvelles preuves de lanceurs d’alerte, renforçant les accusations contre Apple. Ces documents, dont la nature n’a pas été précisée publiquement, faisaient état d’un approvisionnement illégal persistant malgré les engagements affichés par la société américaine en matière de traçabilité.
Les plaintes déposées en France et en Belgique, préparées, selon Reuters, au nom du ministre de la Justice congolais, sont présentées comme une avancée importante. Les informations relayées par la presse ne précisent pas si elles interviennent parce que la partie congolaise dispose de nouvelles preuves ou si elles constituent simplement une suite à la démarche amorcée en avril.
Concernant le choix des deux pays, les avocats expliquent qu’il se justifie par l’accent qui y est mis sur la responsabilité des entreprises. Ils ajoutent que la Belgique a une responsabilité morale particulière d’agir, « car le pillage des ressources de la RDC a commencé durant la colonisation au 19 ᵉ siècle sous le règne du roi Léopold II ».
Les zones d’ombre
Par ailleurs, les avocats de la RDC, cités par le journal Le Monde, ne compteraient pas s’arrêter à Apple, qui est « sans doute l’une des cibles les plus symboliques, du fait de sa puissance financière et de sa communication débridée sur le thème “nous faisons du bien à la planète” ». Ils pourraient engager des actions judiciaires contre d’autres entreprises dans d’autres pays.
Les accusations visant les géants du numérique, dont Apple, pour leur implication dans le négoce de « minerais de sang » en RDC, ne sont pas nouvelles, comme l’expliquait Agence Ecofin il y a quelques mois. Apple a déjà nié s’approvisionner auprès de raffineries ou de fonderies liées à des « groupes armés en RDC ou dans un pays limitrophe ».
Plusieurs points restent à éclairer, notamment sur les objectifs de la RDC et le timing de cette démarche judiciaire. L’État congolais cherche-t-il à faire pression pour obtenir une meilleure traçabilité des minerais ? Souhaite-t-il des compensations financières pour les dommages subis ? Ou utilise-t-il cette procédure pour attirer l’attention internationale sur la question des minerais de conflit et des violations des droits humains dans l’est de la RDC ? À ce stade, le gouvernement congolais n’a pas précisé ce qu’il attend concrètement d’Apple.
Scénarios possibles
Les plaintes déposées seront examinées par les autorités judiciaires françaises et belges, qui devront décider de l’ouverture ou non d’une enquête. Plusieurs scénarios sont possibles : si une enquête est ouverte, elle pourrait clarifier les accusations et établir les responsabilités éventuelles d’Apple. En l’absence de preuves suffisantes, les plaintes pourraient être classées sans suite.
En attendant de nouveaux développements, cette démarche de la RDC soulève des questions de fond sur la gouvernance des ressources naturelles, la responsabilité des grandes entreprises tech dans les chaînes d’approvisionnement mondiales en minerais stratégiques, la transparence de ces chaînes et les marges d’amélioration nécessaires pour éviter que les minerais de conflit ne continuent d’alimenter les violences.
Pour rappel, la RDC est l’un des deux principaux exportateurs mondiaux de coltan, avec 1 918 tonnes en 2023. Selon plusieurs rapports internationaux, cette part serait plus grande sans la production sortie illégalement du pays vers le Rwanda, laquelle sert à financer les groupes rebelles. Plus tôt cette année, une mission de l’ONU en RDC a indiqué que le groupe rebelle M23 génère environ 300 000 dollars de revenus chaque mois grâce aux taxes prélevées sur la production de coltan dans les territoires de Masisi et de Rutshuru, dans le Nord-Kivu.
En dehors du coltan, la RDC est leader mondial de la production de cobalt et producteur non négligeable d’étain, soit plusieurs métaux essentiels à l’électronique moderne, y compris les smartphones et les ordinateurs.
Louis-Nino Kansoun, Agence Ecofin