Alimentée par des partenariats opaques entre opérateurs chinois et congolais, cette ruée minière appauvrit aussi les communautés locales et prive l’État de précieuses ressources fiscales.
Selon un rapport publié le 17 septembre 2025 par l’ONG néerlandaise PAX, l’exploitation illégale de l’or par des ressortissants chinois, associés à des partenaires congolais, a endommagé plus de 250 kilomètres de cours d’eau entre fin 2020 et 2025 dans la province du Haut-Uélé, au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), tout en perturbant le mode de vie traditionnel des communautés locales.
Intitulé « RDC : une ruée vers l’or illégale dans le Haut-Uélé a dévasté des rivières et nui aux populations », le rapport se base sur une analyse d’images satellites et de documents officiels, des visites de sites miniers et des entretiens avec des activistes de la société civile, des victimes et des responsables locaux. Il en ressort que les mineurs ont exploité les cours d’eau et leurs berges de manière semi-industrielle, jour et nuit, à l’aide d’engins lourds. Ils ont creusé sur des étendues de 50 à 400 mètres de large, souvent le long de dizaines de kilomètres de rivières et de ruisseaux, d’après les images satellitaires.
À certains endroits, le lit des rivières a même été déplacé et des chaînes de fosses laissées inondées, créant ainsi un risque important de noyade pour les communautés voisines.
Aucune étude scientifique n’a été menée sur les impacts de ces opérations dans le Haut-Uélé sur la santé humaine et l’environnement. Il existe toutefois de sérieuses raisons de s’inquiéter, car des produits chimiques hautement toxiques, en particulier le mercure et le cyanure, sont souvent utilisés pour l’extraction de l’or en RDC. Les ruisseaux et rivières touchés se déversent ensuite dans le fleuve Congo, qui traverse la deuxième plus grande forêt tropicale humide au monde et constitue un haut lieu de biodiversité.
La ruée vers l’or a également entraîné une forte déforestation, notamment en raison de la construction de grandes routes menant aux sites miniers.
Des coopératives sous couvert d’illégalité
Le rapport souligne que les mineurs actifs dans le Haut-Uélé opèrent sous le couvert de « coopératives minières artisanales » composées exclusivement de ressortissants congolais, travaillant en « partenariat » avec des ressortissants chinois qui leur fourniraient un soutien technique et financier. Ces coopératives, qui opèrent sous la protection de membres de l’armée et de la police congolaises, ne bénéficient pas des autorisations prévues par le Code minier et ne respectent pas les normes environnementales et sociétales.
Les documents officiels analysés par PAX révèlent qu’il n’existait pratiquement aucune coopérative minière artisanale dans le Haut-Uélé avant 2020. Les ressortissants chinois ont donc collaboré avec des coopératives venues d’autres provinces et formé de nouveaux « partenariats » avec des structures récemment créées.
Des données accessibles au public issues du cadastre minier congolais, qui recense tous les droits miniers du pays, montrent que l’exploitation aurifère dans la province du Haut-Uélé s’est souvent déroulée dans des zones couvertes par des permis d’exploitation minière accordés à des entreprises industrielles, et non à des opérateurs semi-industriels.
De plus, certains de ces permis n’étaient pas valides au moment où les activités semi-industrielles ont eu lieu. Bien qu’un titulaire de permis puisse louer sa concession à un autre exploitant, ces accords doivent être enregistrés, transparents et conformes aux règles de responsabilité environnementale et sociale. Mais l’enquête de PAX n’a trouvé aucune information publique concernant de tels accords d’amodiation entre les titulaires de permis et les exploitants semi-industriels.
L’article 311 ter du Code minier prévoit pourtant des peines de 10 à 20 ans de prison pour les personnes responsables de fraude ou de pillage des ressources minérales.
Le 12 août 2022, le président Félix Tshisekedi et son gouvernement ont examiné la situation dans le Haut-Uélé, qualifiant ces activités d’« illicites » et soulignant qu’elles étaient menées « en complicité avec les coopératives minières ». Le chef de l’État avait alors chargé le ministre de l’Intérieur de prendre « des mesures urgentes pour stopper, sans délai, ces exploitations illicites ». Il avait également demandé aux ministres des Mines et de la Justice d’initier une mission d’enquête et de lui faire rapport. Cependant, les comptes rendus ultérieurs du Conseil des ministres examinés par PAX ne font mention d’aucune mission ni d’aucun rapport, et l’exploitation illégale de l’or s’est poursuivie.
Des pertes pour l’État
En outre, si les acteurs impliqués dans cette ruée illégale ont probablement réalisé d’énormes bénéfices, ni les communautés locales ni le Trésor public n’en ont tiré profit, ces activités échappant largement à la surveillance officielle et à la fiscalité.
Les communautés autochtones vivant dans les zones affectées ont vu leur mode de vie traditionnel bouleversé. Selon plusieurs témoignages recueillis sur le terrain, les exploitants semi-industriels ont gravement endommagé les champs des cultivateurs locaux sans indemnisation adéquate, aggravant leur pauvreté. Ils ont aussi déplacé des orpailleurs de leurs sites, les forçant à chercher ailleurs ou à abandonner complètement cette activité. De plus, les communautés locales, notamment les Mbuti, doivent parfois utiliser de l’eau polluée pour cuisiner, se laver et boire, faute d’alternative.
Des exploitations similaires, également largement illégales et impliquant des ressortissants chinois, ont été signalées dans d’autres provinces de l’est du Congo ces dernières années, notamment dans le Sud-Kivu, l’Ituri et la Tshopo.
Face à l’ampleur des dégâts environnementaux et sociaux, PAX appelle Kinshasa à mettre fin à l’exploitation aurifère semi-industrielle illégale dans le Haut-Uélé et ailleurs, à poursuivre toutes les personnes impliquées, quel que soit leur rang, et à garantir une réparation aux populations affectées. La Chine est, quant à elle, invitée à demander des comptes à ses ressortissants engagés dans ces activités.
Walid Kéfi, Agence Ecofin
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