La nouvelle a été peu couverte en Afrique, pourtant c’est l’un des grands noms de la pensée africaine que le continent vient de perdre avec Valentin-Yves Mudimbe (photo). Né en 1941 à Likasi, dans l’actuelle RDC (anciennement Jadotville, NDLR), le Congolais avait d’abord emprunté la voie monastique avant de renoncer à un destin de prêtre pour poursuivre des études supérieures.
Diplômé de philosophie à l’Université catholique de Louvain en 1970, il enseigne à l’Université nationale du Zaïre, puis s’exile aux États-Unis en 1979, fuyant les tensions politiques. À l’Université de Duke, il impose sa marque, devenant l’un des piliers des études africaines et postcoloniales.
Valentin-Yves Mudimbe est surtout reconnu pour son ouvrage phare, The Invention of Africa (1988). Dans cette analyse rigoureuse, il démonte la fabrication occidentale de l’altérité africaine, dénonçant les récits biaisés qui continuent d’enfermer le continent dans des représentations coloniales. Ce livre invite à repenser radicalement les savoirs produits sur l’Afrique, loin des regards exogènes. Il reste l’une des œuvres majeures du courant postcolonial, appelant le continent à se libérer d’un narratif imposé.
Mudimbe n’était pas qu’un théoricien. Poète et romancier, il explorait également, dans Entre les eaux (1973) et L’Odeur du père (1982), les tensions identitaires entre tradition et modernité, foi et raison. Son style dense et pédagogique — reflet de son métier de professeur — mêlait l’intime et le politique, notamment dans ses écrits romanesques.
La disparition de Valentin-Yves Mudimbe survient alors que l’Afrique multiplie les initiatives pour reprendre la maîtrise de ses récits. Avec une industrie culturelle appelée à peser plusieurs milliards de dollars d’ici 2030, selon l’UNESCO, son héritage intellectuel apparaît plus pertinent que jamais.
Pourtant, le décès de celui qui voulait décoloniser les imaginaires africains afin d’affirmer l’avenir du continent est passé presque inaperçu.
Servan Ahougnon